Les peintures / The Paintings

Pascale Borrel, Des morceaux en peinture

 

Deux figures.  Deux figures, 80 x 80 cm, huile sur toile, 2018.

Un « morceau » est un fragment d’un type particulier ; il est doté d’une sorte de matérialité gustative car morsus, c’est la morsure ; les morceaux, on les avale, au sens propre comme au figuré. Et en peinture, c’est la partie sur laquelle on se focalise pour le plaisir des yeux ; c’est le « morceau supérieurement rendu » dont parle Delacroix dans son Journal, cette valorisation localisée de brio pictural qui, pour lui, nuit à la cohésion du tableau, à l’expression de son sujet.

Les dernières peintures de Denis Orhant peuvent être vues sous l’angle des sensations disparates, ambivalentes que le mot « morceau » fait naître. On y perçoit les effets et les plaisirs d’une dextérité, celle qui permet de figurer des « choses », leur volume, leur vitalité, avec de la matière colorée. Ces « choses » sont des êtres humains, des corps alanguis ou en mouvement, des visages dont le rendu – le réalisme – fait sentir le rôle que l’image photographique, ici, tient dans l’exercice de la peinture. Ces corps et ses visages sont souvent des formes incomplètes, plaquées sur des toiles déjà peintes, des pièces rapportées qui remettent en jeu une recherche d’unité antérieure.

Le tableau constitue justement, ici, une unité paradoxale puisqu’il est une aire circonscrite animée de discordances, de faux raccords. Des micro-scènes flottent sur des zones enduites d’un badigeon qui laisse transparaître vaguement des formes passées. Et des visages délicats et tronqués prennent place sur des corps, comme des greffes mal ajustées, comme des masques bizarrement incarnés. Le tableau est un tout, un espace de côtoiements grinçants, d’assemblages précaires et grotesques. (Pascale Borrel est Maître de conférences à l’Université Rennes 2).

 

Pieces in painting

A « piece » is a fragment of a particular type. It is endowed with a sort of gustatory materiality because morsus is the bite; the pieces are swallowed, literally and figuratively. And in painting, it is the part on which one focuses for the pleasure of the eyes. It is the « piece superiorly rendered » of which Delacroix speaks in his Journal, this localized valorization of pictorial brilliance which, for him, is detrimental to the cohesion of the painting, to the expression of its subject.

The latest paintings by Denis Orhant can be seen from the angle of the disparate and ambivalent sensations that the word « piece » gives birth. The effects and pleasures of dexterity can be seen there, the one that makes it possible to represent « things », their volume, their vitality, with colored matter. These « things » are human beings, bodies languid or moving, faces whose realism makes feel the role that the photographic image, here, holds in the exercise of painting. These bodies and their faces are often incomplete forms, plated on previously painted canvases, patches that bring into play a search for anterior unity.

The painting constitutes a paradoxical unity since it is a circumscribed area animated by unconformities and false connections. Micro-scenes float on areas coated with whitewash that vaguely reveals past forms. Delicate and truncated faces take place on bodies, like ill-fitting transplants, like oddly incarnated masks. The painting is a whole, a space with squeaky contacts and grotesque assemblages. (Pascale Borrel is a lecturer at Rennes 2 University, France.)